La distance, est ce qui sépare les choses et les êtres; elle peut devenir inconvenante ou nous laisser tout à fait indifférents. Cet écart est un élément constitutif de mon travail; on le retrouve dans les découpes, la succession des couches de peinture, ou révélé par la réserve. Cet aussi la place à trouver, le juste rapport entre le regardeur et l’œuvre.
Je pense que l’art ne doit pas exercer d’autorité par nature, que son statut est sans cesse à redéfinir. C’est avant tout par ce que ce n’est rien ou presque que l’art est important. On peut ainsi mieux comprendre le lieu de mon travail, au croisement de la mobilité et du multiple ainsi que la nature des objets que je produis.

Les dessins présentés ici sont un fragment d’une série plus importante. C’est un ensemble qui se regarde à distance.
Pourtant à distance on ne voit rien, on ressent plutôt, ni sentiment ou émotion mais davantage une sensation rétinienne; on perçoit un trouble de la vision. La rétine ne sait que trop mal se focaliser sur ce mur de dessins réalisés à l’aide de deux feutres conjoints et de couleurs distinctes.

Les toiles présentées ici sont issues d’une technique que j’ai investie régulièrement depuis plus d’un an. C’est une façon de réarticuler des pratiques radicales de la peinture, une peinture sans peinture, qui se fait dans le retrait plutôt que l’ajout. Ce sont de simples décolorations de tissus à l’eau de javel, posés au sol; leur surface est investie à l’aide de papiers découpés. La peinture se fait en une fois, en vaporisant dans l’air de l’eau de javel. Petit à petit l’image se révèle, le tissu se déteignant peu à peu, comme un photogramme.

Ces deux pratiques interrogent autant d’autres natures d’image par des moyens très archaïques, qu’elles bousculent mes habitudes afin de remettre en questions mes acquis et tenter de penser autrement. Il ne s’agit pas de créer des systèmes, mais de développer des outils et des techniques qui ouvrent des portes où pourra évoluer la pensée.

Julien Gardair, juin 2004.